La puissance spirituelle de la danse
Par Gabrielle Roth (dans The Huffington Post, 11 mai 2011)
Interviews
Chacun de nous est un centre en mouvement, un espace de mystère divin. Bien que nous passions la plus grande partie du temps dans les détails de notre existence ordinaire, la plupart d’entre nous avons faim de nous connecter à notre espace intérieur, de contacter le vrai bonheur, et d’être pris par quelque chose de plus grand que nous.
Lorsque j’étais jeune danseuse, je suis passée du monde des pas imposés et des structures à celui de la transformation et de la transe, en m’exposant à des percussions live. Le tempo et les rythmes m’appelaient à descendre toujours plus profondément dans ma danse.
Comme j’étais jeune, sauvage et libre, je n’ai pas tout de suite compris que pour aller dans ces lieux extatiques, je devrais avoir la volonté de transformer absolument tout ce qui était dans mon propre chemin. Cela incluait toutes mes formes d’inertie : l’inertie physique de muscles tendus et stressés, le bagage émotionnel de sentiments déprimés et réprimés, le bagage mental de dogmes, d’attitudes et de philosophies. En d’autres mots, je devrais tout lâcher – tout.
Avec le temps, j’ai enseigné le mouvement à des dizaines de milliers de personnes, et en eux j’ai commencé à observer ma propre séparation corps-esprit. Entre la tête et les pieds de n’importe qui, il y a des millions de kilomètres de monde sauvage inexploré. J’avais faim de savoir ce qui se passait dans ce monde sauvage, non seulement chez moi mais aussi chez tous les autres.
C’est comme ça que le mouvement est devenu ma médecine et ma méditation. M’étant trouvée et guérie dans son étreinte sauvage, j’ai topographié des chemins que d’autres pourraient suivre en suivant non pas mes pas, mais leurs propres pas.
Nombre d’entre nous cherchons un rythme, quelque chose de concret et d’enraciné où prendre refuge, à partir duquel on peut explorer la fluidité d’être vivant, et comprendre aussi comment on se retrouve souvent bloqués, mort-vivants, lunatiques, tendus, apathiques ; incapables de nous lever, de nous asseoir ou de lever le voile de notre insanité collective.
La question que je me pose à moi et à tout le monde est : « As-tu la discipline nécessaire pour être un esprit libre ? ». Pouvons-nous être libres de tout ce qui nous aveugle ? Libres de tout ce qui nous réduit dans une forme de conscience qui n’a rien à voir avec qui nous sommes respiration après respiration ?
La danse est la route la plus rapide et directe vers la vérité ; non pas vers une grande vérité qui appartiendrait à tout le monde, mais vers une vérité personnelle qui nous branche à l’essentiel, la vérité de ce-qui-se-passe-en-moi-
Nous dansons pour retrouver notre formidable capacité à disparaître dans quelque chose de plus grand, où le jugement, la critique ou l’analyse n’existent plus. Nous dansons pour tomber amoureux de l’esprit de toutes choses. Nous dansons pour balayer des mémoires et les transformer en des mouvements que nous seuls pouvons faire, parce que nous sommes les seuls à avoir vécu ces mémoires. Nous dansons pour contacter le vrai génie dissimulé derrière toutes les conneries ; pour chercher refuge dans notre originalité et dans notre capacité à nous réinventer ; pour lâcher le passé, oublier le futur et tomber dans le moment présent, les pieds d’abord. Vous souvenez-vous de vos quinze ans, possédé(e) par le tempo, par le frisson d’une musique suffisamment forte que pour noyer tout ce que vous avez jamais connu ?
Le rythme est un amant qui ne vous déçoit jamais et, comme tous les amants, il exige un abandon à 100%. Il a le pouvoir de nous séduire dans des mouvements dont nous ne pourrions pas rêver. Il nous attrape au ventre, il nous retourne et nous fait en désirer encore. Nous adorons les rythmes qui bougent plus vite que nous ne sommes capables de penser, des sons qui nous emmènent plus profondément, qui font bouger nos mondes, qui abattent les murs et qui nous font suer nos prières. La prière, c’est bouger. Prier c’est offrir nos os et les rendre à la danse. Prier c’est lâcher tout ce qui empêche notre silence intérieur. Dieu est la danse, la danse est une voie vers la liberté, et la liberté est notre tâche sacrée.
Nous dansons pour survivre, et le tempo offre une voie pour traverser ce chaos qui est le rythme de notre époque. Nous dansons pour faire tomber les anciennes peaux, pour dissoudre nos masques, pour faire craquer les moules et faire l’expérience de la chute ; pour secouer les frontières entre corps, coeur et esprit, entre les sexes et les générations, entre les nations et les nomades. Nous sommes une génération de la transition.
Telle est notre danse.
Article traduit par Michel Wéry